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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 mai 2010

Une lettre écrite le 29 mai 1915 par Lucien Kern.

                   Lucien_Kern

De nouveau un très grand merci à Suzanne Martel, ainsi qu’à ses sœurs Roselyne Duclos et Denise Martel qui me donnent l’autorisation de reproduire ici l’intégralité de la lettre écrite par Lucien Kern le 29 mai 1915 (Cette lettre se trouve en partie dans le livre « Lettres de tranchées »).

 

Samedi 29 mai 1915

 

Ma chère bonne maman,  

Hier au soir, j’ai reçu avec joie et aussi avec mélancolie votre bien-aimée lettre du 9 mai. Comme elle me fait songer davantage à vous tous, à toutes nos affaires. Mon travail que j’ai quitté, vous laissant seule, à la merci des évènements. Oh quelle peine j’ai quand je pense au travail que vous aurez tout l’été et pour l’hiver prochain ! Le bois… Oh ma bonne maman chérie, pardonnez-nous si nous sommes partis à cette affreuse guerre qui est si longue et si cruelle. Le danger que je cours journellement. Les atrocités toujours répétées, le sang, le bruit, nous font beaucoup souffrir. Je songe avec douleur, à l’ouvrage qui vous attend. De toute façon, pourvu que cette guerre horrible finisse bientôt. Tout notre courage  s’en va au fil des jours. C’est très long et trop sanglant. Aujourd’hui encore, la matinée a été dure. Nous avons attaqué à deux heures et demie du matin. Je suis  fatigué et quelque peu dégoûté de cette vie qui n’est qu’un enfer continuel. Je suis toujours en bonne santé, et je souhaite qu’il en soit  ainsi pour vous, pour Marguerite et pour Georges. Ma bonne maman chérie, l’heure de l’épreuve a sonné pour notre famille. Je ne reçois toujours rien de mon pauvre frère Eugène. Il est compté disparu. Mais j’ai la ferme espérance qu’il est prisonnier. Les lettres prennent beaucoup de temps pour venir d’Allemagne. Il faut le croire, espérons. Je n’ose envisager autre chose, car avec tous mes tourments, je serai bientôt malade. Maintenant, autre chose dont je suis sûr et il faut que vous  le sachiez. Mon autre frère que j’aime tant, Aimé, est blessé, d’une balle dans le bas du dos. La blessure, quoique grave n’a heureusement atteint aucun organe essentiel. C’est l’infirmier d’Aimé qui le soigne qui me l’a écrit de la part de mon frère. Étant couché, il ne peut guère écrire. Soyez donc sans inquiétude, ma chère maman. Il reviendra à la vie, l’infirmier me disant qu’Aimé pourrait écrire d’ici huit ou dix jours. Oh quand même, que l’épreuve est dure. Toutes ces nouvelles, coup sur coup, m’ont brisé quelque peu. Que de fois en cachette je pleure. Mais combien je redouble de prières pour mes frères, pour vous, pour moi, pour me donner et à vous tous, le vrai courage. La patience de surmonter toutes les épreuves que Dieu nous envoie. Je souffre, c’est vrai, depuis neuf mois, mais plus que je n’ai souffert dans tout le reste de ma vie… Je suis le seul de nous trois sur le front. J’y suis allé le premier, et pas une égratignure jusqu’à ce jour samedi 29 mai à midi… Alors, le vieux Ovila n’est plus dans ma baraque. Le blé doit être grand partout. Comme j’aimerais être là-bas et travailler. Moi qui aimais tant arracher le reste de mes souches, regarder avec joie mon petit blé. Nos pauvres chevaux, ils doivent être maigres, et la petite Vivousse qui vous donne de la misère. Avez-vous au moins assez de vivres ?... Je vois en pensée votre jardin et vous au milieu. Que la séparation est longue. Quant à la terre de Lacerte, ma foi, il n’est pas nécessaire de se tourmenter, faites comme vous pouvez. Espérons et prions que la guerre ne sera plus longue, surtout après l’intervention de l’Italie. Oh ! Comme j’aimerais être de retour  près de vous, pour vous protéger, vous aimer, à l’hiver prochain. En attendant, il faut se battre, se tuer alors que nous devrions être si heureux ensemble. Si j’avais su ce qu’il en est, j’aurais été moins vif à venir. Mais c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. De loin, je vous aime plus que jamais, je vous embrasse de tout mon cœur. Votre fils cher Lucien Kern.

 

Références bibliographiques :

La carte utilisée pour le montage photo est extraite du J.M.O. du 25e R.I.T., sous-série 26 N 778/5.

« Lettres de tranchées ». Correspondance de guerre de Lucien, Eugène et Aimé Kern, trois frères manitobains, soldats de l’armée française durant la première guerre. Editions du blé. Saint-Boniface (Manitoba) Canada. 2007.

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