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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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16 février 2010

Lettres de Lucien Kern.

Saint Aubin sur Mer

Extraits d’une lettre écrite par Lucien Kern le 15 février 1915.

Chère bonne maman, chère sœur et beau-frère.

J’ai reçu il y a deux jours aux tranchées une lettre de Marguerite et votre carte…

…Je suis déjà passé par des endroits bien mauvais où beaucoup de malheureux camarades ont payé de leur vie, ici en Belgique où nous étions pour commencer. Je ne sais si vous avez lu dans les journaux, les récits des sanglants combats qui se sont déroulés par là. Avez-vous entendu parler du furieux bombardement de la ville d’Ypres, joyaux d’art, où sans raison, rien que par rage de n’avoir pas pu percer nos lignes, les Allemands se sont acharnés à la destruction de cette grande et belle ville. Nous y sommes passés. C’est là que j’ai débuté, à quelques kilomètres au nord, et c’est ici que nous avons été reçus à coup de fusils et de canons. Marguerite me demande si nous avons répondu à cet accueil. Oui, je le pense, mais pas à cet endroit, nous ne savions pas où se trouvaient exactement les Allemands, mais là où nous sommes en ce moment dans le Pas-de-Calais …

… Nous logeons de temps en temps dans un village qui est très souvent bombardé, où il y a un château complètement détruit. Il ne reste plus que des pans de murs, qui sont eux-mêmes percés de trous. Les arbres sont coupés. Autour du château il y a un bel étang. Tout cela est détruit, tour à tour par les canons français ou allemands. Dans ce village, il ne reste en fait d’êtres vivants que 2 chats et une chienne qui a de beaux petits chiots. Pauvres bêtes, toutes seules et sous les obus quotidiens qui tombent toujours sur les troupes en réserve qui logent dans les caves et les ruines…

… En ce moment, nous sommes en repos pour trois jours. Le séjour dans les tranchées est très pénible en cette saison. Figurez-vous que quand nous allons relever un autre régiment, nous devons passer dans des fossés creusés plus haut que la hauteur d’un homme, pour être à l’abri des balles. Ce serait fou et extrêmement périlleux d’aller aux tranchées de première ligne et qui se trouvent  à 70 où 80 m des Allemands sans cette protection. Ces fossés et ces boyaux sont très tortueux. De l’eau, de la boue, nous en avons souvent jusqu’aux genoux. Souvent nous tombons, on va à droite, à gauche, on trébuche… Pour atténuer et absorber l’eau, il y a des claies, qui sont une  sorte de tapis en branchages. Lorsqu’ils sont usés, et ils le sont très rapidement car il passe tellement de soldats, nous trébuchons sur les bouts de bois cassés. Nous marchons souvent la nuit et il faut faire attention à ce que l’ennemi ne s’aperçoive de rien, lorsque nous tombons. C’est comme si nous allions nous rouler dans la boue du lac, complètement mouillés jusqu’au cou, les souliers pleins d’eau sale. De plus, il faut rester dans cet état pendant 24 heures, dans la tranchée et combattre. C’est la nuit qui est la plus dure à passer...

… J’avais pensé vous raconter un peu ce que c’est que la guerre d’aujourd’hui, si hasardeuse, si souterraine, surtout si sanglante. Je n’ai pas encore assisté à une véritable bataille. Je n’ai fait que la guerre de tranchée qui ressemble à un véritable siège. Le matin, au point du jour, le canon allemand commence la musique. Les obus répliquent à droite, à gauche, devant, derrière, bien rarement dans la tranchée. La fusillade continuelle de la nuit se ralentit, la parole est aux canons. Dans la journée, après avoir laissé les canons allemands cracher, nous entendons tout d’un coup un bruit effroyable, Bruit sec, terrible qui résonne. Les canons  lourds français et les fameux 75, qui sont tout près de nous en arrière à l’abri d’un petit bois se déchainent. Voilà la chanson journalière qui commence. Les obus français sifflent avec un bruit terrifiant, surtout ceux provenant des 75, ils vont si vite et crachent si sec… Tout cela avec une rapidité terrible. Sans discontinuer, les batteries s’activent sans arrêt,  elles vomissent le feu et le fer...


… Tout près de nous, il existe un petit bois tout brisé en allumettes par nos obus. Nous l’appelons le bois des Boches. Ces abords sont couverts de cadavres allemands, étendus là, fauchés par nos mitrailleuses lorsqu’ils essayèrent de nous déloger de nos positions. Cela commence à sentir mauvais, gare au printemps… Nous n’avons pas encore eu de neige, ici, c’est toujours de la pluie. Malgré le mauvais état du temps, je me maintiens en bonne santé et je souhaite qu’il en soit ainsi pour vous tous…

Je n’ai pas reçu votre paquet, ni Eugène, ni Aimé, peut-être qu’ils sont perdus, c’est de la valeur, pauvres colis.

Eugène et Aimé m’annoncent qu’ils arrivent sur la ligne de feu. Il faut prier et avoir confiance. Nous souffrons et combattons pour la France.

Embrassez les enfants pour moi et une bonne poignée de main à Georges. Je termine ma longue lettre en vous souhaitant bon courage, bon espoir, en vous embrassant tous bien fort et de tout mon cœur…

Lucien Kern. 9e compagnie du 149e R.I.. Secteur postal n° 116. France.

 

Extraits d’une lettre écrite le 30 octobre 1915 par Lucien Kern à Saint-Aubin-sur-Mer dans le Calvados.

Blessure

… Les cuisiniers arrivent, nous apportant notre souper et nourriture pour le lendemain. Jusqu’à la même heure, minuit, l’on mange à la hâte, une bouchée alternant avec un regard vers l’ennemi, puis nous  reprenons notre faction énervante. Le canon tonne sans arrêt et même augmente d’intensité parfois. C’est grandiose ! Que l’homme paraît petit en ces instants où la force brutale a la parole, et quelle éloquence ! Les fusées montent de plus belle, l’on dirait des étoiles filantes, les nôtres restant longtemps en l’air grâce à un ingénieux petit parachute qui les maintient tant qu’elles éclatent…

…Ce n’est plus la nuit, mais une lumière blanchâtre et sinistre. Des milliers de balles passent en sifflant, regrettant de rien avoir à transpercer. Tout à coup, malgré l’affreux tumulte, un sifflement rapide, une forte détonation, un éclair aveuglant passent sur nous en nous brûlant le visage. Une fumée suffocante, toute noire, nous plonge, dans la pénombre, nous masquant la lumière des fusées. Cris et lamentations, un obus vient d’éclater sur nous, tuant trois camarades, blessant sept autres, moi compris, et détériorant notre mitrailleuse. Je suis touché à trois endroits. Un choc brutal et douloureux m’avertit que j’étais touché à la tête, assez gravement, à la main gauche, une douleur cuisante… Et  un éclat d’obus vient se loger dans le mollet de ma jambe gauche…

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